Wallonie

«Un bon climat social est indispensable»

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Au mois de septembre dernier, Yves Prete endossait la présidence de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE). Un défi qu’il a relevé avec la volonté de faire quelque chose pour sa région. Le Directeur général de Techspace Aero nous livre son regard sur l’économie wallonne et les priorités qu’il s’est fixées dans le cadre de son mandat.

Vous êtes le nouveau président de l’Union Wallonne des Entreprises ? Pourquoi vous êtes-vous porté candidat ?
Y.P. : « J’étais déjà membre du bureau via Agoria et ma fonction de Directeur général de Techspace Aero. Je connaissais donc l’UWE de l’intérieur. Lorsque le mandat de 3 ans de Jean-François Héris est arrivé à son terme, je me suis dit : pourquoi ne pas poser ma candidature à sa succession ? Dans ma vie professionnelle, je n’ai plus d’ambition supplémentaire, à moins de devenir le PDG du groupe SAFRAN, et j’ai pensé que le moment était venu pour moi de faire quelque chose pour ma région.
J’avais eu la même démarche il y une vingtaine d’années, à la fin de ma carrière de joueur de rugby, et je suis devenu président de la Ligue francophone de rugby. Les enjeux en Wallonie sont évidemment très différents, ils sont même phénoménaux avec la mise en place de la 6ème réforme de l’État et, surtout, la situation économique et un PIB qui se situe aux 4/5èmes de la moyenne européenne. Pour rejoindre le niveau de la Flandre, qui est à 110 % de cette moyenne, le PIB wallon devrait augmenter de plus de 30 %! Pour moi, on ne peut pas résoudre le problème économique wallon sans créer de la richesse et cette richesse, elle est créée par les entreprises. Contribuer à la prospérité des entreprises est donc un geste civique qui profite à l’ensemble de la société wallonne. Pour se développer, prendre des risques, les patrons ont besoin de confiance et, pour cela, il est indispensable de bénéficier d’un climat social favorable.»

Justement, commençons par-là ! Le climat social s’est plutôt détérioré depuis un an… On n’en est plus au temps de  la lutte des classes
Y.P. : « Par leur mentalité et leur état d’esprit, certains interlocuteurs portent une grande responsabilité dans cette détérioration et j’espère que l’approche des élections sociales ne va pas entraîner une surenchère. Récemment, le groupe des dix a réussi à se mettre d’accord sur la question importante des pensions complémentaires. C’est un premier signe d’apaisement. Il faut absolument que les partenaires sociaux dialoguent et je préfère un syndicalisme de construction au syndicalisme de confrontation. La FGTB en est encore au temps de la lutte des classes mais nous ne sommes plus au XIXème siècle ! Dans le monde de demain, il y aura de moins en moins de grandes entreprises telles qu’on les a connues jusque dans les années 60. L’avenir, c’est la haute technologie avec de plus petites entités.»

Une autre de vos obsessions, c’est la dette publique
Y.P. : « Oui et on n’a pas encore mesuré les efforts à faire pour que nos enfants puissent vivre bien demain. Pendant des années, nous avons vécu au-dessus de nos moyens, nous avons une dette énorme qui ne nous laisse pratiquement aucune marge de manœuvre. Et nous devons anticiper l’inévitable remontée des taux d’intérêt qui interviendra, un jour ou l’autre. Le désendettement est une question de civisme, exactement comme la création de richesses par les entreprises ! »

Formation : l’exemple de l’Allemagne

L’UWE insiste beaucoup aussi sur l’enseignement et la formation
Y.P. : « D’abord, il y a trop “d’officines” qui s’occupent de formation et d’enseignement. Il y a 5 grands pouvoirs organisateurs : la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’enseignement libre catholique, l’enseignement libre non-confessionnel, les provinces et les communes. Sans compter les organismes qui s’occupent de formation comme l’IFAPME ou le Forem ! Il faut absolument simplifier notre système. Et puis, il y a le développement de l’enseignement en alternance. Il est inscrit dans les programmes de tous les partis mais ça ne va pas assez vite (Jean-François Héris en parlait déjà ici même il y a 3 ans, ndlr). Pourtant, c’est important pour les entreprises de pouvoir compter sur une main d’œuvre performante. Cela fonctionne très bien en Allemagne alors que chez nous, seulement 5 % des jeunes choisissent cette filière, à l’exception de la région d’Eupen, ce qui est dû sans aucun doute à la proximité du grand voisin. L’enseignement en alternance réalise une symbiose entre l’école et les entreprises et au sein du patronat, il y a une réelle volonté d’accueil des jeunes en formation. Chez Techspace Aero, nous collaborons même à des masters en alternance car ce système de formation, qui permet l’engagement de jeunes travailleurs tout de suite opérationnels, concerne aussi les études supérieures. Il est important aussi de resserrer les liens avec les enseignants et de leur donner l’occasion de vivre de l’intérieur la vie de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle l’UWE a créé une fondation pour l’enseignement qui permet l’immersion des professeurs au sein de celles-ci.»

La révolution de la fabrication additive

D’autant plus que le monde industriel évolue sans arrêt avec, notamment, l’avènement du numérique.
Y.P. : «Oui et, heureusement, au niveau politique, les choses bougent. Le ministre Marcourt a pris l’initiative de créer l’Agence wallonne du numérique. Celle-ci vient de publier un premier rapport et des recommandations. Les efforts doivent porter sur l’équipement des administrations publiques et surtout – on y revient ! – des écoles afin d’améliorer la formation des jeunes dans ce domaine. Dans les 20 ou 25 ans qui viennent, toute une série de métiers vont disparaître. L’e-commerce va se développer de plus en plus, de même que la fabrication additive, appelée aussi impression 3D, qui permet, pour faire simple, de fabriquer certaines pièces au moyen d’un ordinateur et d’une imprimante. On ne sait pas encore exactement où l’on va car l’évolution est très rapide mais il faut réfléchir et se préparer dès maintenant à des mutations profondes au niveau industriel.»

Un bon point, donc, pour le gouvernement wallon
Y.P. : « Ce n’est pas le seul. Beaucoup de choses ont été faites pour la simplification administrative. La fusion des différentes agences de développement économique en une seule, l’AEI, l’Agence de l’Entreprise et de l’Innovation, est une bonne chose. Le plan Marshall fonctionne bien, avec des pôles d’excellence bien choisis et des jurys indépendants pour apprécier les projets. Tout cela est positif, de même que le bon fonctionnement des invests. Les outils wallons d’aide économique sont assez performants. En ce qui concerne les aides à l’emploi, suite à la régionalisation, on a créé le GPS-W (Groupement des partenaires sociaux) qui propose une organisation différente.  Pour le secteur marchand, le GPS suggère de travailler sur 4  groupes cibles : les jeunes peu qualifiés, les chômeurs de longue durée, les travailleurs de plus de 54 ans et les très petites entreprises. Globalement, je suis relativement confiant. Il reste cependant un gros point noir : le coût de l’électricité, plus élevé en Wallonie qu’en Flandre en raison du coût du transport de l’énergie, des taxes et du surcoût de l’énergie verte. Il y a bien des exonérations mais elles sont largement insuffisantes.»

 Qu’on soit de gauche ou de droite, on n’a pas le choix !

Le gouvernement fédéral, lui aussi, a pris des mesures favorables aux entreprises
Y.P. : « Oui ! Si le coût de l’énergie est un élément important de la compétitivité, le coût salarial en est un autre. La décision de diminuer les charges sociales de 33 % à 25 % est une excellente mesure pour les entreprises. Globalement, tout cela va dans le bon sens. D’ailleurs, 10.000 emplois privés ont été créés au cours du premier semestre de 2015, plus 9.000 dans le secteur de la santé. On a perdu 4.000 fonctionnaires mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose…
En fait, même s’il existe des nuances, les politiques menées par les gouvernements fédéral et régional ne sont pas très différentes. Que l’on soit de droite ou de gauche, face à la crise, on n’a pas trop le choix. Le gouvernement Di Rupo avait déjà pris des mesures en faveur des entreprises et regardez Emmanuel Macron en France… Malgré ces politiques, la croissance est, hélas, encore insuffisante pour augmenter l’emploi de manière substantielle. Pour cela, nous devons absolument gagner des parts de marché à l’étranger. Et là, on en revient à la nécessaire compétitivité. »

Tout autre chose pour terminer, on entend parfois parler d’un rapprochement entre l’UWE et les CCI de Wallonie. Où en est-on ?
Y.P. : « La volonté de l’UWE est de resserrer les liens entre le “trio” d’organisations qui sont au service des entreprises wallonnes, à savoir l’UWE, les CCI et l’UCM. L’UWE a signé une charte avec les Chambres de Commerce dans les années nonante et une autre avec l’UCM en 1999. Les présidents des différentes CCI sont membres du conseil d’administration de l’UWE et le président des CCI wallonnes ainsi que celui de l’UCM participent aux délibérations du bureau. L’action en trio est donc bien réelle mais je pense que nous devons aussi nous tourner vers le reste de la Belgique et que c’est tout le monde patronal belge (FEB, VOKA, BECI à Bruxelles, UWE) qui doit se réexaminer en fonction de la régionalisation des compétences économiques.»

 LE CV D’YVES PRETE

  • Né à Etterbeek le 30 janvier 1954
  • 1978 : décroche son diplôme d’Ingénieur civil électromécanicien à l’ULB
  • 1979 : entame sa carrière chez FN Moteurs (devenue Techspace Aero)
  • 2000 prend la direction de  la société Snecma Services Brussels
  • 2005 : est nommé Directeur général de SSAMC en Chine
  • 2009 : rejoint le comité de direction de l’entreprise SNECMA à Paris
  • 2011 : devient Administrateur délégué – Directeur général  de Techspace Aero
  • 2015 : succède à Jean-François Héris à la présidence de l’UWE
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